CategoryAlbert Samain

À Marceline Desbordes-Valmore

À

L’amour, dont l’autre nom sur terre est la douleur, De ton sein fit jaillir une source écumante, Et ta voix était triste et ton âme charmante, Et de toi la pitié divine eût fait sa sœur. Ivresse ou désespoir, enthousiasme ou langueur, Tu jetais tes cris d’or à travers la tourmente ; Et les vers qui brûlaient sur ta bouche d’amante Formaient leur rythme aux seuls battements de ton cœur...

Watteau

W

Au-dessus des grands bois profondsL’étoile du berger s’allume…Groupes sur l’herbe dans la brume…Pizzicati des violons…Entre les mains, les mains s’attardent,Le ciel où les amants regardentLaisse un reflet rose dans l’eau ;Et dans la clairière indécise,Que la nuit proche idéalise,Passe entre Estelle et CydaliseL’ombre amoureuse de Watteau. Watteau, peintre idéal de la fête...

Extase

E

Mon coeur dans le silence a soudain tressailli,Comme une onde que trouble une brise inquiète ;Puis la paix des beaux soirs doucement s’est refaite,Et c’est un calme ciel qu’à présent je reflèteEn tendant vers tes yeux mon désir recueilli. Comme ceux-là qu’on voit dans les anciens tableaux,Mains jointes et nu-tête, à genoux sur la pierre,Je voudrais t’adorer sans...

Devant la mer, un soir …

D

Devant la mer, un soir, un beau soir d’Italie,Nous rêvions… toi, câline et d’amour amollie,Tu regardais, bercée au coeur de ton amant,Le ciel qui s’allumait d’astres splendidement. Les souffles qui flottaient parlaient de défaillance ;Là-bas, d’un bal lointain, à travers le silence,Douces comme un sanglot qu’on exhale à genoux,Des valses d’Allemagne arrivaient jusqu’à nous. Incliné sur ton...

Ville morte

V

Vague, perdue au fond des sables monotones,La ville d’autrefois, sans tours et sans remparts,Dort le sommeil dernier des vieilles Babylones,Sous le suaire blanc de ses marbres épars. Jadis elle régnait ; sur ses murailles fortesLa Victoire étendait ses deux ailes de fer.Tous les peuples d’Asie assiégeaient ses cent portes ;Et ses grands escaliers descendaient vers la mer… Vide à...

Paysages

P

L’air est trois fois léger. Sous le ciel trois fois pur,Le vieux bourg qui s’effrite en ses noires muraillesCe clair matin d’hiver sourit sous ses pierraillesÀ ses monts familiers qui rêvent dans l’azur… Une dalle encastrée, en son latin obscur,Parle après deux mille ans d’antiques funérailles.César passait ici pour gagner ses batailles,Un oiseau du printemps...

L’agréable leçon

L

Dans la brise ailée et sonoreS’éveillent les dieux bocagers ;Et le chalumeau des bergersBrode de ses accords légersLe voile rose de l’aurore. Tircis aux pieds d’Églé dit son âme amoureuse.L’air est bleu ; la rosée étincelle aux buissons ;Le ruisseau d’argent clair brille dans les cressons,Et le chien noir a l’oeil sur la brebis peureuse. Sur ses pipeaux Tircis à la Journée HeureusePrélude ; mais...

Quand je suis à tes pieds …

Q

Quand je suis à tes pieds, comme un fidèle au templeImmobile et pieux, quand fervent je contempleTa bouche exquise ou flotte un sourire adoré,Tes cheveux blonds luisant comme un casque doré,Tes yeux penchés d’où tombe une douceur câline,Ton cou svelte émergeant d’un flot de mousseline,L’ombre de tes longs cils sur ta joue et tes seinsOù mes baisers jaloux s’abattent par essaims,Quand j’absorbe ta...