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Elsa au miroir

E

C’était au beau milieu de notre tragédie Et pendant un long jour assise à son miroir Elle peignait ses cheveux d’or Je croyais voir Ses patientes mains calmer un incendie C’était au beau milieu de notre tragédie Et pendant un long jour assise à son miroir Elle peignait ses cheveux d’or et j’aurais dit C’était au beau milieu de notre tragédie Qu’elle jouait un air de harpe sans y croire Pendant...

Est-ce ainsi que les hommes vivent

E

Tout est affaire de décor Changer de lit changer de corps À quoi bon puisque c’est encore Moi qui moi-même me trahis Moi qui me traîne et m’éparpille Et mon ombre se déshabille Dans les bras semblables des filles Où j’ai cru trouver un pays. Cœur léger cœur changeant cœur lourd Le temps de rêver est bien court Que faut-il faire de mes nuits Que faut-il faire de mes jours Je n’avais amour ni...

Il n’y a pas d’amour heureux

I

Rien n’est jamais acquis à l’homme Ni sa force Ni sa faiblesse ni son coeur Et quand il croit Ouvrir ses bras son ombre est celle d’une croix Et quand il croit serrer son bonheur il le broie Sa vie est un étrange et douloureux divorce Il n’y a pas d’amour heureux Sa vie Elle ressemble à ces soldats sans armes Qu’on avait habillés pour un autre destin A quoi peut leur servir de se lever matin Eux...

Chant de Suzanne au Bain

C

De l’époux bien-aimé n’entends-je pas la voix ? Oui, pareil au chevreuil, le voici, je le vois. Il reparaît joyeux sur le haut des montagnes, Bondit sur la colline et passe les campagnes. Ô fortifiez-moi ! mêlez des fruits aux fleurs ! Car je languis d’amour et j’ai versé des pleurs. J’ai cherché dans les nuits, à l’aide de la flamme, Celui qui fait ma joie et que chérit mon âme. Ô ! comment à ma...

Une âme devant Dieu

U

Dis-moi la main qui t’enlève, Ô mon âme, et dans un rêve Te montre la vérité ! D’où vient qu’un songe m’emporte Jusques au seuil de la porte Qu’entr’ouvre l’Éternité C’est ici que l’homme arrive ; Oui, je reconnais la rive Jusqu’où le rocher dérive Roulé dans le flot des temps ; J’entre dans le port de l’âme : Je vais m’asseoir dans la flamme ; La place que j’y réclame Est vide depuis longtemps...

Paris

P

« Prends ma main. Voyageur, et montons sur la tour. — Regarde tout en bas, et regarde à l’entour. Regarde jusqu’au bout de l’horizon, regarde Du nord au sud. Partout où ton oeil se hasarde, Qu’il s’attache avec feu, comme l’oeil du serpent Qui pompe du regard ce qu’il suit en rampant, Tourne sur le donjon qu’un parapet prolonge, D’où la vue à loisir sur tous les points se plonge Et règne, du...

Le Trappiste

L

C’était une des nuits qui des feux de l’Espagne Par des froids bienfaisants consolent la campagne : L’ombre était transparente, et le lac argenté Brillait à l’horizon sous un voile enchanté ; Une lune immobile éclairait les vallées, Où des citronniers verte serpentent les allées ; Des milliers de soleil, sans offenser les yeux, Tels qu’une poudre d’or, semaient l’azur des cieux, Et les monts...

Le malheur

L

Suivi du Suicide impie, A travers les pâles cités, Le Malheur rôde, il nous épie, Prés de nos seuils épouvantés. Alors il demande sa proie ; La jeunesse, au sein de la joie, L’entend, soupire et se flétrit ; Comme au temps où la feuille tombe, Le vieillard descend dans la tombe, Privé du feu qui le nourrit. Où fuir ? Sur le seuil de ma porte Le Malheur, un jour, s’est assis ; Et depuis ce jour je...

Le bal

L

La harpe tremble encore et la flûte soupire, Car la Walse bondit dans son sphérique empire ; Des couples passagers éblouissent les yeux, Volent entrelacés en cercle gracieux, Suspendent des repos balancés en mesure, Aux reflets d’une glace admirent leur parure, Repartent ; puis, troublés par leur groupe riant, Dans leurs tours moins adroits se heurtent en criant. La danseuse, enivrée aux...

Boulogne

B

Boulogne, où nous nous querellâmes
Aux pleurs d’un soir trop chaud
Dans la boue ; et toi, le pied haut,
Foulant aussi nos âmes.
La nuit fut ; ni, rentrés chez moi,
Tes fureurs plus de mise.
Ah ! de te voir nue en chemise,
Quel devint mon émoi !
On était seuls (du moins j’espère) ;
Mais tu parlais tout bas.
Ainsi l’amour naît des combats :
Le dieu Mars est son père.
Paul-Jean Toulet, Contrerimes