• Louis Aragon

    Est-ce ainsi que les hommes vivent

    Tout est affaire de décor Changer de lit changer de corps À quoi bon puisque c’est encore Moi qui moi-même me trahis Moi qui me traîne et m’éparpille Et mon ombre se déshabille Dans les bras semblables des filles Où j’ai cru trouver un pays. Cœur léger cœur changeant cœur…

  • Louis Aragon

    Il n’y a pas d’amour heureux

    Rien n’est jamais acquis à l’homme Ni sa force Ni sa faiblesse ni son coeur Et quand il croit Ouvrir ses bras son ombre est celle d’une croix Et quand il croit serrer son bonheur il le broie Sa vie est un étrange et douloureux divorce Il n’y a pas…

  • Alfred de VIGNY

    Chant de Suzanne au Bain

    De l’époux bien-aimé n’entends-je pas la voix ? Oui, pareil au chevreuil, le voici, je le vois. Il reparaît joyeux sur le haut des montagnes, Bondit sur la colline et passe les campagnes. Ô fortifiez-moi ! mêlez des fruits aux fleurs ! Car je languis d’amour et j’ai versé des…

  • Alfred de VIGNY

    Une âme devant Dieu

    Dis-moi la main qui t’enlève, Ô mon âme, et dans un rêve Te montre la vérité ! D’où vient qu’un songe m’emporte Jusques au seuil de la porte Qu’entr’ouvre l’Éternité C’est ici que l’homme arrive ; Oui, je reconnais la rive Jusqu’où le rocher dérive Roulé dans le flot des…

  • Alfred de VIGNY

    Paris

    « Prends ma main. Voyageur, et montons sur la tour. — Regarde tout en bas, et regarde à l’entour. Regarde jusqu’au bout de l’horizon, regarde Du nord au sud. Partout où ton oeil se hasarde, Qu’il s’attache avec feu, comme l’oeil du serpent Qui pompe du regard ce qu’il suit…

  • Alfred de VIGNY

    Le Trappiste

    C’était une des nuits qui des feux de l’Espagne Par des froids bienfaisants consolent la campagne : L’ombre était transparente, et le lac argenté Brillait à l’horizon sous un voile enchanté ; Une lune immobile éclairait les vallées, Où des citronniers verte serpentent les allées ; Des milliers de soleil,…

  • Alfred de VIGNY

    Le malheur

    Suivi du Suicide impie, A travers les pâles cités, Le Malheur rôde, il nous épie, Prés de nos seuils épouvantés. Alors il demande sa proie ; La jeunesse, au sein de la joie, L’entend, soupire et se flétrit ; Comme au temps où la feuille tombe, Le vieillard descend dans…

  • Alfred de VIGNY

    Le bal

    La harpe tremble encore et la flûte soupire, Car la Walse bondit dans son sphérique empire ; Des couples passagers éblouissent les yeux, Volent entrelacés en cercle gracieux, Suspendent des repos balancés en mesure, Aux reflets d’une glace admirent leur parure, Repartent ; puis, troublés par leur groupe riant, Dans…

  • Paul-Jean Toulet

    Boulogne

    Boulogne, où nous nous querellâmes Aux pleurs d’un soir trop chaud Dans la boue ; et toi, le pied haut, Foulant aussi nos âmes. La nuit fut ; ni, rentrés chez moi, Tes fureurs plus de mise. Ah ! de te voir nue en chemise, Quel devint mon émoi !…

  • Paul Verlaine

    Un grand sommeil noir

    Un grand sommeil noir Tombe sur ma vie : Dormez, tout espoir, Dormez, toute envie ! Je ne vois plus rien, Je perds la mémoire Du mal et du bien… O la triste histoire ! Je suis un berceau Qu’une main balance Au creux d’un caveau : Silence, silence !…