La forêt

L

Silencieuse,

la forêt épie les ombres discrètes

foulant d’un pas lourd le fragile tapis

de mousse rousse virant au brun.

Etonnée,

elle les voit s’arrêter soudainement

pour faire des génuflexions

au pied d’un arbre ou d’un buisson.

Des murmures d’admiration,

pleins de ferveur mystique,

s’élèvent alors vers la voûte bleu céleste

où flottent les volutes vaporeuses

de l’encens parfumé à l’anis des écorces humides.

Nostalgique,

la forêt se souvient des temps,

ô !combien lointains !

où les humains venaient vénérer

les esprits vivant dans les creux

des arbres plusieurs fois centenaires.

Elle revoit les farfadets qui habitaient

l’ombre feuillue des fougères

en s’adonnant à mille espiègleries

de gamins turbulents.

Soudain joyeuse,

la forêt abandonne sa cape de torpeur,

tissée avec des fils en soie par les araignées,

s’anime et chuchote à la brise

assoupie dans son sein plantureux

la bonne nouvelle du retour d’anciens

d’un exil lointain et séculaire.

« C’est sûr et certain puisque les humains

viennent de nouveau les honorer »

dit-elle au zéphyr qui, guilleret, court,

sans s’essouffler aucunement,

alerter les quatre vents et les charger

de répandre la bonne nouvelle

dans l’univers de hautes futaies.

Agitée,

la forêt s’apprête à visiter les revenants

quand soudain elle entend ces paroles funestes :

« Regardez cette superbe nichée de cèpes !

On va se régaler ce soir ! »

Atterrée,

elle voit apparaître un couteau d’acier

qui tranche les pieds d’un troupeau terrorisé

de champignons ; adultes et bambins.

Epouvantée,

la forêt, en voyant le massacre de ses enfants,

perpétré par la main, armée de fer, des humains,

gémit sa peine, agite ses innombrables poings

prête à s’abattre sur les ignobles tueurs.

Dans sa fureur, elle laisse tomber

une pluie torrentielle de feuilles et de branches,

et lance un appel au secours à une armée de fourmis

qui, instantanément, passent à l’attaque.

Le combat est bref.

Vaincus, les humains s’enfuient en abandonnant

derrière eux leur butin.

Les champignons jonchent le sol de la bataille ;

deux corbeilles en osier leur serviront de cercueil.

Attristée,

la forêt contemple le ciel exsangue et bruisse sa peine.

De larmes chaudes inondent le sol.

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©2004 Bozena Bazin

Avec l’aimable autorisation de l’auteur

 

 

 

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By poesiedumonde