CategoryLouise Ackermann

À Alfred de Musset

À

Un poète est parti ; sur sa tombe fermée Pas un chant, pas un mot dans cette langue aimée Dont la douceur divine ici-bas l’enivrait. Seul, un pauvre arbre triste à la pâle verdure, Le saule qu’il rêvait, au vent du soir, murmure Sur son ombre éplorée un tendre et long regret. Ce n’est pas de l’oubli ; nous répétons encore, Poëte de l’amour, ces chants que fit éclore Dans ton âme éperdue un...

Aux femmes

A

S’il arrivait un jour, en quelque lieu sur terre, Qu’une entre vous vraiment comprît sa tâche austère, Si, dans le sentier rude avançant lentement, Cette âme s’arrêtait à quelque dévouement, Si c’était la Bonté sous les cieux descendue, Vers tous les malheureux la main toujours tendue, Si l’époux, si l’enfant à ce cœur ont puisé, Si l’espoir de plusieurs sur Elle est déposé, Femmes, enviez-la...

Adieu à la poésie

A

Mes pleurs sont à moi, nul au monde Ne les a comptés ni reçus, Pas un oeil étranger qui sonde Les désespoirs que j’ai conçus L’être qui souffre est un mystère Parmi ses frères ici-bas ; Il faut qu’il aille solitaire S’asseoir aux portes du trépas. J’irai seule et brisant ma lyre, Souffrant mes maux sans les chanter ; Car je sentirais à les dire Plus de douleur qu’à les porter Paris, 1835 Louise...

In Memoriam

I

I J’aime à changer de cieux, de climat, de lumière. Oiseau d’une saison, je fuis avec l’été, Et mon vol inconstant va du rivage austère Au rivage enchanté. Mais qu’à jamais le vent bien loin du bord m’emporte Où j’ai dans d’autres temps suivi des pas chéris, Et qu’aujourd’hui déjà ma félicité morte Jonche de ses débris ! Combien ce lieu m’a plu! non pas que j’eusse encore Vu le ciel y briller...

De la Lumière !

D

Mehr Licht ! mehr Licht ! (Dernières paroles de Gœthe.) Quand le vieux Gœthe un jour cria : « De la lumière ! » Contre l’obscurité luttant avec effort, Ah ! Lui du moins déjà sentait sur sa paupière Peser le voile de la mort. Nous, pour le proférer ce même cri terrible, Nous avons devancé les affres du trépas ; Notre œil perçoit encore, oui ! Mais, supplice horrible ! C’est notre esprit qui ne...

La Nature à l’Homme

L

Dans tout l’enivrement d’un orgueil sans mesure, Ébloui des lueurs de ton esprit borné, Homme, tu m’as crié : « Repose-toi, Nature ! Ton oeuvre est close : je suis né ! » Quoi ! lorsqu’elle a l’espace et le temps devant elle, Quand la matière est là sous son doigt créateur, Elle s’arrêterait, l’ouvrière immortelle, Dans l’ivresse de son labeur? Et c’est toi qui serais mes limites dernières ...

La guerre

L

A la mémoire de son neveu, le Lieutenant Victor Fabrègue, tué à Gravelotte I Du fer, du feu, du sang ! C’est Elle ! C’est la Guerre ! Debout, le bras levé, superbe en sa colère, Animant le combat d’un geste souverain. Aux éclats de sa voix s’ébranlent les armées; Autour d’elle traçant des lignes enflammées, Les canons ont ouvert leurs entrailles d’airain Partout chars, cavaliers, chevaux, masse...

Les Malheureux

L

La trompette a sonné. Des tombes entr’ouvertes Les pâles habitants ont tout à coup frémi. Ils se lèvent, laissant ces demeures désertes Où dans l’ombre et la paix leur poussière a dormi. Quelgues morts cependant sont restés immobiles ; Ils ont tout entendu, mais le divin clairon Ni l’ange qui les presse à ces derniers asiles Ne les arracheront. « Quoi ! renaître ! revoir le ciel et la lumière...

Un autre coeur

U

Serait-ce un autre cœur que la Nature donne A ceux qu’elle préfère et destine à vieillir, Un cœur calme et glacé que toute ivresse étonne, Qui ne saurait aimer et ne veut pas souffrir? Ah ! qu’il ressemble peu, dans son repos tranquille, A ce cœur d’autrefois qui s’agitait si fort ! Cœur enivré d’amour, impatient, mobile, Au-devant des douleurs courant avec transport. Il ne reste plus rien de cet...

La rose

L

À Madame M…. Quand la rose s’entr’ouvre, heureuse d’être belle,De son premier regard elle enchante autour d’elleEt le bosquet natal et les airs et le jour.Dès l’aube elle sourit. La brise avec amourSur le buisson la berce, et sa jeune aile erranteSe charge en là touchant d’une odeur enivrante ;Confiante, la fleur livre à tous son trésor.Pour la mieux respirer en passant on s’incline ;Nous sommes...