Au-dessus des grands bois profonds
Létoile du berger sallume…
Groupes sur lherbe dans la brume…
Pizzicati des violons…
Entre les mains, les mains sattardent,
Le ciel où les amants regardent
Laisse un reflet rose dans leau ;
Et dans la clairière indécise,
Que la nuit proche idéalise,
Passe entre Estelle et Cydalise
Lombre amoureuse de Watteau.
Watteau, peintre idéal de la fête jolie,
Ton art léger fut tendre et doux comme un soupir,
Et tu donnas une âme inconnue au désir
En lasseyant aux pieds de la mélancolie.
Tes bergers fins avaient la canne dor au doigt ;
Tes bergères, non sans quelques façons hautaines,
Promenaient, sous lombrage où chantaient les fontaines,
Leurs robes queffilait derrière un grand pli droit…
Dans lair bleuâtre et tiède agonisaient les roses ;
Les coeurs souvraient dans lombre au jardin apaisé,
Et les lèvres, prenant aux lèvres le baiser,
Fiançaient lamour triste à la douceur des choses.
Les pèlerins sen vont au pays idéal…
La galère dorée abandonne la rive ;
Et lamante à la proue écoute au loin, pensive,
Une flûte mourir, dans le soir de cristal…
Oh ! Partir avec eux par un soir de mystère,
Ô maître, vivre un soir dans ton rêve enchanté !
La mer est rose… il souffle une brise dété,
Et quand la nef aborde au rivage argenté
La lune doucement se lève sur Cythère.
Léventail balancé sans trêve
Au rythme intime des aveux
Fait, chaque fois quil se soulève,
Senvoler au front des cheveux,
Lombre est suave… tout repose.
Agnès sourit ; Léandre pose
Sa viole sur son manteau ;
Et sur les robes parfumées,
Et sur les mains des bien-aimées,
Flotte, au long des molles ramées,
Lâme divine de Watteau.
Albert Samain