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Litanies de l’exilé

Miguel Angel Asturias Rosales (1899 – 1974)

Et toi, l’exilé :

Être de passage, toujours de passage,
avoir la terre pour auberge
et contempler des cieux qui ne sont pas les nôtres,
vivre parmi des gens qui ne sont pas les nôtres,
fredonner des chansons qui ne sont pas les nôtres,
rire mais d’un rire qui n’est pas le nôtre,
serrer des mains qui ne sont pas les nôtres,
pleurer avec des larmes qui ne sont pas les nôtres,
céder à des amours qui ne sont pas les nôtres,
goûter à des plats qui ne sont pas les nôtres,
prier des dieux, des dieux qui ne sont pas les nôtres,
entendre notre nom sans que ce soit le nôtre,
penser à ceci, à cela, à ce qui n’est pas nôtre,
tendre une monnaie qui n’est pas la nôtre,
et suivre des chemins qui ne sont pas les nôtres.

Et toi, l’exilé :

Être de passage, toujours de passage,
avoir pour tout bien des choses d’emprunt,
embrasser des enfants qui ne sont pas les nôtres,
s’approcher d’un feu qui n’est pas le nôtre,
entendre des clochers qui ne sont pas les nôtres,
prendre un petit air qui n’est pas le nôtre,
pleurer de morts qui ne sont pas les nôtres,
vivre cette vie qui n’est pas la nôtre,
se distraire à des jeux qui ne sont pas les nôtres,
dormir dans un lit qui n’est pas le nôtre,
grimper mais à des tours qui ne sont pas les nôtres,
lire des nouvelles, excepté les nôtres,
souffrir pour tout le monde et poru ce qui est nôtre,
écouter la pluie quand la pluie est autre
et boire d’une eau qui n’est pas la nôtre…

Et toi, l’exilé :

Être de passage, toujours de passage,
ne pas avoir d’ombre mais des bagages,
toaster bien que la fête ne soit pas la nôtre,
partager un lit qui n’est pas le nôtre,
un lit et « notre pain » qui n’est pas le nôtre,
raconter des histoires qui ne sont pas les nôtres,
prendre, laisser des toits qui ne sont pas les nôtres,
travailler à des tâches qui ne sont pas les nôtres,
parcourir des villes autres que la nôtre,
et dans des hôpitaux qui ne sont pas les nôtres
faire soigner des maux qui ont leur guérison
ou du moins leur soulagement. Mais non le nôtre,
qui ne peut guérir que par le retour…

Et toi, l’exilé :

Être de passage, toujours de passage,
à moins que demain, demain ou jamais…
Le temps des horloges est un temps factice
qui au lieu du temps mesure l’absence.
Vieillir à coups d’anniversaires
qui ne sont pour nous qu’années décomptées
sur un agenda qui n’est pas le nôtre,
mourir sur une terre qui n’est pas la nôtre
entendre pleurer ceux qui ne sont pas les nôtres
et voir un autre drapeau que le nôtre
recouvrir un bois qui n’est pas le nôtre,
couvrir un cercueil qui n’est pas le nôtre
et des fleurs et des croix qui ne sont pas les nôtres,
dormir dans une fosse qui n’est pas la nôtre,
se mêler à des os qui ne sont pas les nôtres,
être au bout du compte l’homme sans patrie,
un homme sans nom, un homme sans homme..

Et toi, l’exilé :

Être de passage, toujours de passage,
avoir la terre pour auberge,
avoir pour tout bien des choses d’emprunt,
ne pas avoir d’ombre, mais des bagages,
à moins que demain, demain ou jamais…

 

Rome, hiver 1966

Traduit par Claude Couffon
Cent poèmes sur l’exil, © le cherche midi éditeur, 1993.

“Enfants” © 2003 Tamar Matsafi

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