Antony VALABRÈGUE

Le banc

I

Les maisons du village ont partout, près du seuil,
Le banc de pierre blanche ombragé par des treilles,
Le banc où chaque soir sont assises les vieilles,
Qui jettent vers la route un tranquille coup d’œil.

Sous les rayons pâlis qui frôlent leur paupière,
Elles semblent attendre, en rêvant, le retour
Des villageois laissant la tâche coutumière,
Qui regagnent leur gîte à la chute du jour.

Le banc mélancolique est cher à tous les âges.
Lorsque l’ombre s’allonge à l’horizon poudreux,
Ce sont de doux propos après les commérages ;
On surprend des serments et de tendres aveux.

En goûtant à loisir la grande paix rustique,
S’oubliant longuement sous le pampre abaissé,
Des groupes, réunis près du toit domestique,
Devisent du présent ou songent au passé.

II

Et moi je suis venu, sur le banc de l’auberge,
M’abriter un moment à côté des berceaux
Qui, près du mur branlant couvert de vigne vierge,
Etendaient leur feuillage aux flexibles arceaux.

Me yeux suivaient au loin les plis de la vallée ;
Je cherchais tour à tour, par delà les buissons,
Sous les ormeaux touffus, dressés comme une allée,
Les bois, les prés en fleurs et les riches moissons,

Et comme d’un regard j’ai parcouru ma vie ;
Je revoyais encor les travaux suspendus,
Les stériles désirs dont l’âme est assouvie,
Les projets délaissés et les efforts perdus.

Je me suis dit : Parfois, après les jours de doute,
On voudrait ressaisir le calme et le repos.
Quand la charge est jetée en travers de la route,
Pour de prochains labeurs on se sent plus dispos.

Nous avons pour nos pas des haltes bienfaisantes,
L’esprit qui s’y retrempe aime à s’y recueillir.
On subit de nouveaux les fatigues cuisantes,
On revient à la lutte, et l’on craint de vieillir.

Certes, il faut jouir des dernières journées.
Je saurai bien garder, dans la douceur du soir,
Les suprêmes ardeurs, trop vite abandonnées,
Et me bercer encor d’un immuable espoir.

Je saurai maintenir sans nulle défaillance
La foi dans l’idéal qu’on ne refoule pas
Et caresser sans fin, ravi de ma croyance,
Quelque rêve naïf qui me charme ici-bas,

Trop heureux si jamais, sous une treille verte,
Je puis cacher ma vie, alors à son penchant,
Et suivre, près du seuil de ma maison ouverte,
La fuite de mes jours sous le soleil couchant.

Antony Valabrègue (1844-1900)
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