Philippe Desportes

De mes ans la fleur se déteint

De mes ans la fleur se déteint,
J’ai l’oeil cave et pâle le teint,
Ma prunelle est toute éblouie,
De gris-blanc ma tête se peint,
Et n’ai plus si bonne l’ouïe.

Ma vigueur peu à peu se fond,
Maint sillon replisse mon front,
Le sang ne bout plus dans mes veines,
Comme un trait mes beaux jours s’en vont,
Me laissant faible entre les peines.

Adieu chansons, adieu discours,
Adieu nuits que j’appelais jours
En tant de liesses passées.
Mon coeur, où logeaient les amours,
N’est ouvert qu’aux tristes pensées.

Le Printemps les roses produit,
L’Été plus chaud mûrit le fruit,
Des saisons divers est l’empire :
Aux amours la jeunesse duit,
L’autre âge autre chose désire.

Connaissant donc ce que je dois,
Faut-il pas suivre une autre loi
Propre à mon âge et ma tristesse ?
Dois-je pas bannir loin de moi
Tous noms d’amour et de maîtresse ?

Loin bien loin, plaisir décevant,
Arrière, espoir conçu de vent,
Qui servais d’attiser ma flamme ;
La raison, serve auparavant,
Soit maintenant reine en mon âme.

Las ! durant que je parle ainsi,
Et feins que mon coeur endurci
Soit fort pour d’amour se défendre,
Ce dieu sans yeux et sans merci
Fait jaillir des feux de ma cendre

Philippe DESPORTES (1546-1606)