Emile Verhaeren

Je dédie à tes pleurs, à ton sourire

Je dédie à tes pleurs, à ton sourire,
Mes plus douces pensées,
Celles que je te dis, celles aussi
Qui demeurent imprécisées
Et trop profondes pour les dire.

Je dédie à tes pleurs, à ton sourire,
A toute ton âme, mon âme,
Avec ses pleurs et ses sourires
Et son baiser.

Vois-tu, l’aube blanchit le sol, couleur de lie ;
Des liens d’ombre semblent glisser
Et s’en aller, avec mélancolie ;
L’eau des étangs s’éclaire et tamise son bruit,
L’herbe rayonne et les corolles se déplient,
Et les bois d’or s’affranchissent de toute nuit.

Oh ! dis, pouvoir, un jour,
Entrer ainsi dans la pleine lumière ;
Oh ! dis, pouvoir, un jour,
Avec des cris vainqueurs et de hautes prières,
Sans plus aucun voile sur nous,
Sans plus aucun remords en nous,
Oh ! dis, pouvoir un jour
Entrer à deux dans le lucide amour !

Émile Verhaeren (1855-1916)
Recueil : Les heures claires (1896).