Emile Verhaeren

Il fait novembre en mon âme

Rayures d’eau, longues feuilles couleur de brique,
Par mes plaines d’éternité comme il en tombe !
Et de la pluie et de la pluie – et la réplique
D’un gros vent boursouflé qui gonfle et qui se bombe
Et qui tombe, rayé de pluie en de la pluie.

– Il fait novembre en mon âme –
Feuilles couleur de ma douleur, comme il en tombe !

Par mes plaines d’éternité, la pluie
Goutte à goutte, depuis quel temps, s’ennuie,
– Il fait novembre en mon âme –
Et c’est le vent du Nord qui clame
Comme une bête dans mon âme.

Feuilles couleur de lie et de douleur,
Par mes plaines et mes plaines comme il en tombe ;
Feuilles couleur de mes douleurs et de mes pleurs,
Comme il en tombe sur mon coeur !

Avec des loques de nuages,
Sur son pauvre oeil d’aveugle
S’est enfoncé, dans l’ouragan qui meugle,
Le vieux soleil aveugle.

– Il fait novembre en mon âme –

Quelques osiers en des mares de limon veule
Et des cormorans d’encre en du brouillard,
Et puis leur cri qui s’entête, leur morne cri
Monotone, vers l’infini !

– Il fait novembre en mon âme –

Une barque pourrit dans l’eau,
Et l’eau, elle est d’acier, comme un couteau,
Et des saules vides flottent, à la dérive,
Lamentables, comme des trous sans dents en des gencives.

– Il fait novembre en mon âme –

Il fait novembre et le vent brame
Et c’est la pluie, à l’infini,
Et des nuages en voyages
Par les tournants au loin de mes parages
– Il fait novembre en mon âme –
Et c’est ma bête à moi qui clame,
Immortelle, dans mon âme !

Emile Verhaeren    (1855-1916)