Certe, il ne faut avoir qu’un amour en ce monde,
Un amour, rien qu’un seul, tout fantasque soit-il ;
Et moi qui le recherche ainsi, noble et subtil,
Voilà qu’il m’est à l’âme une entaille profonde.
Elle est hautaine et belle, et moi timide et laid :
Je ne puis l’approcher qu’en des vapeurs de rêve.
Malheureux ! Plus je vais, et plus elle s’élève
Et dédaigne mon coeur pour un oeil qui lui plaît.
Voyez comme, pourtant, notre sort est étrange !
Si nous eussions tous deux fait de figure échange,
Comme elle m’eût aimé d’un amour sans pareil !
Et je l’eusse suivie en vrai fou de Tolède,
aux pays de la brume, aux landes du soleil,
si le ciel m’eût fait beau, et qu’il l’eût faite laide !
Emile Nelligan (1879-1941)
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( in Poésies complètes, éd. BQ, 1992 )