Diana LICHY

Les Deux Rives

Diana Lichy

Tu as soufflé un long jeûne sur moi
avec ton haleine d’orage.
Tu as râpé l’écorce du cannelier
et tu l’as ajoutée au breuvage magique.

Cette boisson nettoyant cœur et tripes fut amère.
Boisson bouillante,
elle m’a ébranlé,
implacable comme un poisson-torpille.

Bouleversé,
mon corps est resté tendu comme un arc.

Alors le chant de la forêt
s’est cabré en moi.
Tout a explosé dans ma tète,
les appels des animaux,
l’inquiétude des eaux,
le vent griffant les feuilles
avec sa rumeur magique.

Et puis
un silence m’a recouvert,

épais et doux
comme du miel sauvage.

Lorsque tu m’as vu enfin prêt
tu as versé dans une calebasse :

l’eau du tourment,
l’eau des mille amours,
l’eau des douces lamentations,
l’eau du rêve de la création éternelle,
l’eau des nouvelles constellations,
l’eau de la vieille blessure,
l’eau du rêve parfumé,
l’eau de fumée,
l’eau de l’espoir qui reverdit

et tu as rafraîchi mon ombre
avec l’éclat d’un fleuve d’étoiles paisible.

Tu chantais
un sortilège qui m’enveloppait avec douceur :
il entrait et sortait,
il se tissait dans mon oreille,
et j’ai perdu le souvenir de qui j’étais.

Avec du jus de tabac, j’ai séparé l’âme du corps.

Je me voyais sur beaucoup de chemins.

Tu m’as fait voltiger dans et hors de moi
pour me montrer l’autre monde
pour me lancer sur le sentier étroit du rêve.

Mes sens brisés
je me suis confondu avec les éléments.

Je me retrouvais morcelé
mes pieds
ma tête
mes mains
et chaque membre était heureux et libre et solitaire.

Et je fus nuages tourbillonnant
imitant les pirouettes de l’épervier,
et je marchais faisant fuir la tempête
avec les bonds enjoués du cerf,
et je nageai avec la force du caïman
nourri, moins par la viande
que par la peur respectueuse des hommes,
et à la fin j’ai anéanti les chemins
avec la fureur du tigre.

Tu as appelé
pour que je revienne
pour que je réunisse à nouveau mes morceaux.

Je ne voulais pas revenir.

Chercher mon esprit protecteur de l’autre côté du monde
était si délicieux
que je craignais de revenir remplir la peau qui fut la mienne.

Mais sans le vouloir je revins,
étrange fut ce retour dans mon corps,
je me sentais le prisonnier d’une maison d’autrui.

Mes pieds ne me soutenaient plus,
ils paraissaient de pure argile,
comme les premiers hommes créés par Wanadi.

Comme
un serpent
paresseusement
je me
suis traîné.

Ma tête était un incendie.
Dans la grotte de ma bouche
ma langue avait un goût de charbon.
Mes jambes se brisèrent
avec un craquement de branche morte.
Mes mains rebroussèrent chemin,
mes doigts étaient des fourmis affolées
qui s’avançaient désorientées.

Je me suis endormi
d’un sommeil lourd.

Et en me réveillant
l’esprit du brouillard a raccommodé mon corps,
je me suis levé :
os et âme ressoudés.

Vainqueur de mon premier voyage
dans le monde des ombres.

LAS DOS ORILLAS

Largo ayuno soplaste sobre mí
con tu respiración de tormenta.

Rallaste corteza del árbol de canela
y la añadiste a la poción mágica.

Fue bebida amarga que limpió corazón y entrañas.
Bebida hirviente,
sacudió en mí,
implacable como temblador.

Estremecido,
mi cuerpo quedó templado como un arco.

Entonces el canto de la selva se encabritó en mi.
Todo estalló dentro de mi cabeza,
los llamados de los animales,
la inquietud de las aguas,
el viento arañando las hojas
con su rumor de encantamiento.

Y luego me arropó un silencio
espeso y dulce
como miel salvaje.

Cuando me viste dispuesto
vertiste en una totuma :
agua del tormento
agua de los mil amores
agua del dulce lamento
agua del sueño de la creación eterna
agua de las nuevas constelaciones
agua de la vieja herida
agua del sueño aromado
agua de humo
agua de la esperanza que reverdece

y refrescaste mi sombra
con el resplandor de un manso río de estrellas.

Cantabas
un ensalme que me envolvía suavecito :
entraba y salía,
se me tejía en el oído
y no me quedó recuerdo de ese que yo era.

Con jugo de tabaco separé alma de cuerpo.

Me veía por muchos caminos.

Me volteaste por dentro y por fuera
para mostrarme el otro mundo
para lanzarme por el sendero afilado del sueño.

Quebrados mis sentidos
me confundí entre los elementos.

Yo era en muchos pedazos regado
mis pies
mi cabeza
mis manos
y así, cada miembro feliz y libre y solitario.

Y fui un revuelo de nubes
imitando las piruetas del gavilán,
y anduve espantando a la tempestad
con el trote juguetón del venado,
y nadé con la fuerza del caimán
alimentado, más que por la carne,
por el miedo reverencial de los hombres,
y al final fui destrozándome los caminos
con la furia del tigre.

Tú llamaste
para que volviera,
para que juntara de nuevo mis pedazos

Yo no quería volver.

Era tan sabroso
buscar a mi espíritu protector del otro lado del mundo
que tenía lástima de volver a llenar mi antiguo pellejo.

Pero sin quererlo regresé,
fue extraño volver a mi cuerpo,
prisionero en una casa ajena, me sentía.

Mis pies no me sostuvieron
parecía que de puro barro eran,
como los primeros hombres creados por Wanadi.

Como
culebra
me
arrastraba
perezoso.

Sentí un incendió en mi cabeza.
En la cueva de mi boca
la lengua sabía a carbón.
Mis piernas se quebraron
con chasquido de rama seca.
Mis manos desandaron el sendero
los dedos eran hormigas enloquecidas
que habían perdido su rumbo.

Caí dormido
con un sueño apretado y profundo.

Y al despertar
el espíritu de la niebla remendó mi cuerpo
y me levanté :
huesos y alma recompuestos.

Vencedor de mi primer viaje
en el mundo de las sombras.

©1997 Diana Lichy

Traduction par Claude Couffon

Avec l aimable autorisation de l’auteur

Née à Caracas, Venezuela

Diana Lichy Vit à Paris. Elle partage l’écriture avec le cinéma, à travers l’écriture de scénarios, la production ou l’organisation des Festivals.

Publications
Sortilèges. Indigo, Cotê-femme, Paris, 1997.
Sortilegios. FUNDARTE, Caracas, 1996.
Solitario oficio de horas desnudas. FUNDARTE, Caracas. 1.993.
Solasombro. Gobernación del Estado Bolívar. Mayo 1.993
En los extremos confines de tu cuerpo. PEN CLUB de Venezuela. 1.989

Distinctions :
Prix International de Poésie « Le Courrier de l’Orénoque » a « Sortilegios ». France, 1994.
Prix « Fundarte » de Poésie 1993 à « Solitario oficio de horas desnudas ». Caracas
Prix « Bienal de Literatura del Estado Bolívar » mention poésie. 1991 à « Solasombro ».

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *