Todd Swift
Traduction : Robert Paquin, Ph. D.
1.
Là, sur ton visage, est le visage que je voudrais toucher,
bien que les mains que je porte soient trop longues.
Elles t’affameraient, mes mains,
comme de longs poteaux de fer encastrés dans le sol
pour emprisonner, avec tous les oiseaux qui paradent autour,
car c’est là que les gardes mettent le pain, pour se moquer.
Personne n’a eu l’idée de publier les raisons
pour la sévérité de la peine, le crime étant commis.
Mes mains voudraient faire une église d’une citerne.
Avec l’eau recueillie en nappe de la portion
la plus haute du ciel, en réflexion d’un autel fluide,
noire d’hosties automnales que j’appelle feuilles mortes.
Il y a, sur ton visage, l’esquisse d’une église
bâtie sur l’eau, en moins moderne.
Les effets de mouvement que je frappe de ma main
sur le plat de l’eau de pluie dans la citerne
y déplacent la lumière, y imposant un second visage,
un changement persistant d’émotions,
un miroir détournant.
2.
Hélas ! J’ai empêché
la nourriture d’entrer dans mon église. Elle se trouve vide
d’éléments nutritifs, ma très haute cathédrale
de pluie versée, cintrée dans ce tonneau de bois,
laissée là pour contenir les éléments qui tremblent
avec persistance, du ciel tombés.
Ton visage a besoin de lumière autant que de pain,
mais dans ce climat la peau devient malade du soleil.
Cueille donc un blanc masque de protection
et étale tes doigts hâlés sur ton visage,
obscurcissant ta bouche rouge. Étale
la blanche solution d’huile protectrice sur
tes lèvres, comme du sperme enduisant une rose.
Je ne vais pas résoudre de m’en tenir à baiser ta bouche
rouge seulement. Je passerai la plus grande partie du carême,
tout Pâques, à prendre ton clitoris sur ma langue.
3.
Ton visage est une tendresse graduelle de faiblesse.
Je touche ta chevelure et elle est faite de pluie. C’est
le désir se tournant vers la beauté. C’est le geste
du fou proverbial qui ruine ses vêtements
sur la place publique, qui gémit bien au-delà
des beffrois, qui hurle d’une voix plus haute que
la Lune, son banc de pierres pâle et vide, maintenant
que les prières dans le ciel sont terminées, les enfants
partis, qui s’inclinaient jadis avec de petites mains
et indiquaient à leurs parents, et aux fidèles,
qu’ils avaient une petite croyance, assez pour la faire croître, à
travers les paumes qu’ils joignaient ensemble,
par-dessus le toit osseux de la nuit, comme la pluie fait
des pilliers de l’air.
Il n’y a jamais assez de peau pour nous couvrir
tous les deux. Dans un sens, nous demeurons absolus,
absolument identiques à notre propre place. Si
on nous retirait de notre poche
d’espace, nous ne deviendrions pas l’autre.
Je ne peux pas m’incliner assez loin en toi
avec mes mains, pour croire la prière.
Il y a entre nous une religion qui correspond
à une absente région de désespoir.
4.
Sois forte et jaillis de l’eau, l’église tiendra,
ce sont ceux qui se sont enfuis par la porte du bout qui sont
terrifiés des lions rugissant à la grille principale.
Ta beauté est transformation de désir, j’ai imprimé
les bibles moi-même, chacune est reliée de marbre noir
et se ride de la présence indue de lumière réfléchie
dans l’eau, qui bien sûr est produite par un œil.
L’œil est un minuscule océan remué à travers une lentille, sans correction
par le Seigneur. Et le premier jour de mes yeux
j’ai ouvert sur des anges en forme de lions, qui rugissaient l’air
comme si on allait bientôt dérouler la viande des bêtes comme l’écorce
d’un arbre médicinal.
N’oulie pas que chaque personne qui a vécu
ou qui vit contient davantage de choses
qui se sont produites ou qui doivent se produire
que n’importe quel livre qu’on écrira jamais.
Nous mourrons suffisamment nous-mêmes
pour ne jamais devoir lire plus que les premiers chapitres
avant que la résurrection ne ferme le tome
et que nous ne voyions plus simplement des mots. Le corps ressuscité
deux fois, c’est ce que le langage devrait aspirer à craindre.
Le langage du pain et de l’eau est la voix
de la prison en plein air libérée par toi
et venue à moi. Tourne ton visage
vers le mien et joignons nos langues, longues mains.
THE BOOK OF PLAGUES
1.
There, in your face, is the face I would touch,
though the hands I carry are too long.
They would starve you, my hands,
like long iron poles set in the ground
for a prison, and all the birds strutting beyond,
for the guards lay the bread there, taunting.
No one has thought to publish the reasons
for the severity of the sentence, the crime done.
My hands would make a church of a rain barrel.
How the water is scooped slick off the portion
uppermost to the sky, reflecting a fluid altar,
black with autumnal wafers I call fallen leaves.
There is, upon your face, the idea of a church
built on water, a less modern notion.
The effects of motion I strike with my hand
upon the flat of the rain water in the barrel
move the light there, forcing a second face,
a persistent change of emotions on it,
a looking-away glass.
2.
Alas, I have forbidden
food to enter my church. It stands empty
of nutrition, my very tall cathedral
of poured rain, curved in the wooden barrel,
left out to contain the elements that tremble
persistently, from out of the sky, fallen.
Your face needs light as it does bread,
but in this climate skin grows sick on the sun.
So gather a white mask of protection
and spread your tan fingers across your face,
obscuring your red mouth. Spread
the white solution of protecting oil upon
your lips, like semen smearing a rose.
I will not resolve to stop at kissing your red
mouth only. I will spend the better part of Lent,
all Easter, taking your clitoris upon my tongue.
3.
Your face is a gradual tenderness of failing.
I touch your hair and it is made of rain. This
is desire turning to beauty. This is the gesture
of the proverbial madman, ruining his clothes
in the open square, moaning far past
the clocktowers, wailing higher than the pitched
Moon, its pew of stones pale and empty, now
that the prayers in the sky are over, children
gone that once bent forward with tiny hands
and signalled to their parents, and the churchgoers
that they held a small belief, enough to grow it, up
through the palms they leaned together,
out over the boneroof of the night, as the rain makes
pillars out of air.
Never is there enough skin to stretch over
the both of us. We remain somehow absolute,
absolutely identical to our own place. If
we were removed from our pockets
of space, we would not become the other.
I cannot lean far enough into you
with my hands, to believe the prayer.
There is a religion between us which is
an absent region of despair.
4.
Be strong and break the water, the church will hold,
it is the ones who have run out the far door, who are
terrified of the lions roaring in at the main gates.
Your beauty is a transforming of desire, I have printed
out the Bibles myself, each is bound in black marble
and ripples with the undue presence of light reflected
through water, which is of course produced from an eye.
The eye is a tiny ocean stirred through a lens, uncorrected
by the Lord. And on the first day of my eyes
I opened upon angels shaped like lions, who roared the air
like meat was soon to be unrolled from the beasts, like bark
from a medicinal tree.
Remember that each person who has lived
or is living is more full of things
that have happened, or are due to occur,
than any book that is ever to be written.
We will die sufficiently ourselves
to never require opening past the earliest chapters
until resurrection shall close the tome
and we no longer see mere words. The body risen
twice is what language should aspire to fear.
The language of bread and water is the voice
of the open air prison released from you
and come to me. Turn your face
to my face, and join tongues, long hands.
Avec l’aimable autorisation de l’auteur et du traducteur
Voici, un poème du traducteur lui-même
UN PLAN POUR LA PAIX
I
J’ai écrit à l’ONU et au premier-ministre,
Au président, au pape, au roi, au père Noël,
J’en parle à mes amis, j’en parle aux journalistes :
J’ai un plan pour la paix, un plan providentiel.
Fini les chars d’assaut ! En avant les tracteurs !
Désarmons les soldats et armons les de pelles.
Tous les démolisseurs deviennent constructeurs.
Remplaçons donc tous les fusils par des truelles.
Tout l’argent investi en matériel de guerre,
Servira maintenant dans un grand rituel
À bâtir le pardon et la paix sur la terre.
Et pour donner l’exemple, un peu avant Noël,
Je vous offre un poème qui n’a pour tout pouvoir
Que celui d’éveiller encore un peu espoir.
UN PLAN POUR LA PAIX
II
Je sais qu’en apparence on est porté à croire
Mon plan irréaliste au plan économique,
Mais qu’on y songe un peu ; un rien de bon vouloir
Éviterait peut-être une guerre atomique .
Au lieu de démolir, de tuer, de torturer,
Construire et secourir serait bien plus pratique.
L’entente, l’amitié et la paix restaurées,
Fini le terrorisme, les armes prolifiques.
Les anciens généraux deviendront architectes
Ingénieurs ou poètes. Ennemis politiques
D’autrefois parleront le même dialecte.
Les armées désarmées serviront le public
À coup de pioche, à coup de bêche ou de marteau
En construisant maisons, routes et hôpitaux.
UN PLAN POUR LA PAIX
III
Pour que mon plan fonctionne, il lui faut des disciples
Qui croient que tous les hommes ont une face unique
Et qui croient en un Dieu aux visages multiples.
Il faut que cette foi soit plus que théorique.
La paix rapportera plus que des capitaux
Et coûtera moins cher qu’une guerre tragique.
En bâtissant des ponts, on crée ipso facto
Des liens et des amis. C’est bon en politique.
Quiconque appliquera ce simple plan de paix
Verra son nom gravé en lettres prophétiques
Dans les cœurs de tous les pays sous-développés.
Et on se souviendra de ce jour poétique
Où les hommes partout ont cessé leurs duels,
Et on se souviendra que c’était à Noël.
Robert