Katia Kapowich

Cours particuliers

Traduction et adaptation par Jean-Marie Flémal

Mon CV serait incomplet sans mentionner
cet enfant atteint du syndrome de Down
et à qui j’ai enseigné l’anglais. Arrivée aux États-Unis
de fraîche date, j’avais placé une annonce dans le bulletin russe,
et il était venu. Il avait débarqué avec sa mère,
qui avait également un défaut de prononciation et des yeux de grenouille.
Tous deux étaient très doux, ils m’avaient apporté une boîte de chocolats
qu’ils avaient eux-mêmes finis en un rien de temps,
tout en sirotant bruyamment du thé dans leurs soucoupes, à la russe.
Là-bas, à Rostov, le gosse avait suivi jusque 17 ans
une école pour adolescents attardés mentaux.
Il ne connaissait pas un mot d’anglais et son russe
n’était pas sans problèmes non plus. Sans égard pour
la syntaxe, l’orthographe et la ponctuation, il écrivait
dans un style télégraphique. Maintenant, il se lançait dans l’étude de l’anglais :
« The sky is blue. The grass is green. The paper is white. »
Parfois il entrait dans une sorte de transe
et regardait fixement les pigeons qui forniquaient sur un toit,
dans de longs roucoulements voluptueux. Alors, son visage devenait
tout simplement élégant, ses joues blanches bouffies se teintaient d’un peu de rose
et, à voir le reflet un peu rêveur dans ses yeux délavés et sans cils,
je sus qu’il pensait à l’amour. Il avait dix-huit ans, après tout
et il était toute chevalerie, même avec du chocolat en permanence sur les lèvres.
J’étais mal à l’aise que nos études n’aient jamais progressé beaucoup au-delà
de ces phrases simplistes. Heureusement doté, par ailleurs,
d’une oreille parfaite, il apprit à les prononcer
sans une trace d’accent russe, bien mieux que je ne pus jamais le faire.
La prochaine chose que je sus, c’est qu’il sortait avec une jeune Américaine.
« Anton, bonté divine, comment est-ce arrivé ? »
Il me regarda avec sérieux. « Je lui ai dit : ‘Regarde ! Le ciel est bleu !
L’herbe est verte ! Le papier est blanc ! Tu t’appelles comment ?’ »

Tutor

My CV would be incomplete without mention
of this Russian kid with Down’s syndrome
whom I taught English. Having come to the States
just recently, I had placed an ad in the Russian bulletin,
and there he was. He arrived with his mother,
who also had a speech impediment and frog eyes.
They were both very sweet, brought me a box of chocolates,
which they themselves finished together in no time
while slurping tea Russian style from their saucers.
Back in Rostov the kid had attended till age 17
a school for mentally retarded adolescents.
He had zero English, and his Russian
was not without problems either. Never mind
syntax, spelling, and punctuation, he wrote
in a telegraphic style. Now he set about learning English:
The sky is blue. The grass is green. The paper is white.
Sometimes he would go into a kind of trance
and stare at pigeons fornicating on a roof
with long voluptuous cooing. Then his face would become
almost handsome, his white puffy cheeks gained a bit of pink,
and by the dreamlike glint in his colorless eyes without eyelashes
I knew that he thought of love. He was eighteen after all
and all chivalry, even with perpetual chocolate on his lips.
I felt bad that our studies never advanced much beyond
those simplistic statements. Blessed, on the other hand,
with a perfect ear, he learned to pronounce them
without a trace of Russian accent, much better that I ever could.
The next thing I knew, he was dating an American girl.
“Anton, my goodness, how did that happen?”
He looked at me seriously. “I told her, ‘Look! The sky is blue!
The grass is green! The paper is white! What is your name?’”


©Katia Kapowich

Avec l’aimable permisson de l’auteur et traducteur

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