Edmond, te souvient-il de nos jeunes années,
De ce temps encor proche et qui semble lointain,
Où tous deux nous tenions nos têtes inclinées.
Sur ces livres méchants de grec et de latin..
Mais voici qu’aujourd’hui tu prends un autre livre,
Le livre le plus pur et le plus gracieux,
Le livre de l’amour, dont rien ne désenivre
Et qu’on lit sur la terre en se croyant aux cieux !
Avec la femme jeune et fidèle qui t’aime,
Sous le double flambeau de ses yeux éclatants,
Tu vas le déchiffrer cet éternel poème
Que l’amour met aux mains des époux de vingt ans.
Ce poème est touchant : parfois il désenchante
Ceux qui n’ont pas au cœur le culte du foyer ;
Mais toi, je te sais bon, et je la sais charmante,
La grâce et la bonté font bien de s’allier.
Le fond c’est la bonté, la forme c’est la grâce,
Une œuvre faite ainsi plaît jusqu’au dénoûment ;
Étant à l’épilogue on reprend la préface,
Et le plaisir est neuf comme au premier moment !
Tu l’aimeras ce livre où l’honneur se propage,
Car ce sera la bonne et vieille édition,
Et des enfants joyeux tourneront chaque page
Mêlant leur frais sourire à ton émotion !
Lisez-le donc longtemps tous deux… prés du vieux père
Qui vous voyant heureux oublîra son ennui ;
Et pour faire renaître à son foyer prospère
La gaîté d’autrefois… lisez-le comme lui !…
(Recueil : “Les Tristesses”)
Georges RODENBACH – ( 1855 – 1898)