LA FOURMI ET LA CIGALE

L

N’ayant pu mettre en été
De côté
La récolte suffisante,
La Fourmi, presqu’indigente,
Humblement s’en fut quêter
Quelques sous pour subsister,
Elle vint solliciter
La Cigale sa voisine,
Qui s’appelait Carmosine
Et dansait à l’Opéra.
Depuis fort longtemps déjà,
Cette Cigale économe
(Quoiqu’en ait dit le Bonhomme)
Avait su garder, en somme,
L’argent qu’elle avait gagné,
Mais n’aimait pas à donner.
Enfin c’était une artiste
Égoïste….
« Qu’avez-vous fait, ô fourmi ?
Répondit notre danseuse
A l’humble solliciteuse ;
Sans doute avez vous dormi
Tous les jours jusqu’à midi ?
— Ma foi, non, fit la quêteuse,
Dormir n’est point à mon goût :
Je travaillais et beaucoup !
Chez moi croyez-le, ma chère,
Rien ne restait en jachère,
D’ailleurs, tout réussissait,
La récolte s’annonçait
Abondante et magnifique,
Quand, par un sort maléfique,
Grêle, orage, pluie et vent
Ont fait rage si souvent
Que tout a pourri sur place…
Ô bonne cigale, si
Votre cœur n’est pas de glace,
Faites-moi donner, de grâce,
Un morceau de pain rassis
Pour apaiser ma fringale….
— Ô Fourmi ! fit la Cigale,
On me tient fort justement
Dans tout le département
Pour une femme de tête.
Je ne donne pas — je prête.
Je vais, céans, t’avancer
Une somme rondelette
Mais qu’il faudra rembourser,
Sache-le bien, ma pauvrette,
Avant l’Août, foi d’animal,
Intérêt et principal. »
La Fourmi fut trop contente
D’accepter pareil marché.
De suite et d’un cœur léger
Elle se mit, diligente,
A travailler comme trente,
Si bien que dix mois après
Elle courut, sans regrets,
Rendre la somme prêtée,
Bien et dûment augmentée
De notables intérêts….
— On voit d’ici la Cigale :
Sa joie était sans égale
En voyant que son argent
Lui rapportait cent pour cent !
.   .   .   .    .    .    .    .    .    .    .    .    .
A l’homme courageux que le destin accable,
Riches, prêtez votre or sans hésitation :
Vous ferez, tout d’abord, une bonne action
Et qui peut, en l’occasion,
Vous devenir très profitable.
On l’a bien vu par cette fable

Dominique BONNAUD (1864-1943)
(in La Fontaine pour rire — Delagrave, 1928)

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By Arnaud Somveille